Résumé : Le retrait pratyahara est une technique de yoga qui consiste à désengager les sens de leurs objets,
pour maîtriser les sens, apaiser le mental et développer l'autonomie de la conscience. Dans le contexte contemporain ou les stimuli externes sont nombreux, le retrait se révèle un outil
utile dans la quête de la paix et de l'indépendance intérieure .
Pratyahara
Le terme sanskrit pratyahara vient de ahara qui désigne « la nourriture, ce que nous absorbons de l’extérieur » et de praty qui signifie « contre, éloigné ». Pratyahara voudrait donc littéralement dire « éloigné de ce que nous absorbons de l’extérieur », d’où son utilisation pour exprimer la technique de yoga consistant à détacher les sens de leurs objets extérieurs et sa traduction habituelle en français par retrait.
Le retrait pratyahara est un membre anga du yoga qui consiste à désengager les sens de leurs objets, à couper l'esprit de toutes les sollicitations extérieures. Ce désengagement est censé donner au yogi la maîtrise de ses sens, apaiser son mental et développer l'autonomie de sa conscience.
Le retrait pratyahara est indissociable du yoga. Il tient un rôle important dans la plupart des yoga traditionnels. Dans les systèmes de yoga à six membres, comme dans le yoga à huit membres de Patanjali, le retrait pratyahara est souvent cité entre contrôle de la respiration pranayama et la concentration dharana. Le retrait serait la dernière des pratiques externes après les postures et le contrôle de la respiration et préparerait le yogi aux pratiques internes concentration, méditation et absorption qui mènent le yogi à la libération ou à l’acquisition de pouvoirs extraordinaires. Entre contrôle de la respiration et concentration, le retrait marquerait aussi la transition entre les pratiques physiques et les pratiques mentales.
Selon les Upanisads c'est par le retrait en détachant les sens de leur objet qu'on peut les maîtriser. Dans la Katha Upanisad, la première définition écrite du yoga identifie le yoga lui-même à la maîtrise des sens.
Dans les Upanisads il apparaît aussi que le retrait contribue à stabiliser le mental et à développer la conscience : "...en se préoccupant des objets des perceptions, le mental est alimenté ce qui mène à l'illusion et à la souffrance. En revanche si le carburant des perceptions est retenu alors, de même que le feu s'éteint sans combustible, le mental se trouve réabsorbé dans la conscience dans le soi." "Une fois la dépendance à l’égard des objets des sens abandonnée, l’esprit stabilisé dans le cœur obtient la nature du Soi."
Pratyahara est comparé à une tortue se repliant sous sa carapace, une façon de ne plus se laisser distraire par les impressions sensorielles externes pour diriger toute son attention vers l’intérieur.
Parmi les 196 aphorismes sutra de Patanjali, deux seulement sont consacrés à pratyahara. Le sutra II.54 donne lieu à diverses traductions qui restent une peu énigmatiques : « Pratyahara c’est quand les sens se retirent de leurs objets et imitent, pour ainsi dire, le mental » (Satchidananda). « Pratyahara consiste à désengager les sens, l’esprit et la conscience des objets extérieurs et les tourner vers l’intérieur vers le sujet » (B.K.S. Iyengar). « Quand l’esprit se détache des objets des sens, les organes des sens se détachent aussi de leurs objets respectifs, on dit qu’ils imitent l’esprit : c’est ce qu’on nomme pratyahara » (Swami Prabhavananda, Christopher Isherwood). « Le retrait de sens se produit quand l’esprit arrive à garder la direction qu’il a choisie et que les sens ignorent les différents objets qui les entourent et suivent fidèlement la direction de l’esprit » (T.K.V. Desikachar). « Quand le mental n'est plus identifié à son champ d'expérience, il y a comme une réorientation des sens vers le soi » (Françoise Mazet).
Le sutra II.55 définit clairement le résultat du retrait : « alors s’en suit la plus grande maîtrise de sens » (I.K. Taimni)
Selon la tradition tantrique, le retrait pratyahara en empêchant l'attention de vagabonder développe ce que l’on nomme le centre, le soi, la conscience madhya. Le mental devient « suspendu ». C'est l’arrêt de l'agitation intérieure, la vacuité du mental. L'énergie manifestation du principe symbolisé par Shakti, cesse d'osciller. Ce terme traditionnel d'arrêt des oscillations de l'énergie fait penser aux modifications des ondes (en réalité des oscillations de champs électromagnétiques) émises par le cerveau pendant la pratique de la méditation : les ondes alpha caractéristiques de ces activités méditatives et les ondes thêta de l'activité du subconscient augmentent au détriment des ondes bêta de l'activité extérieure et delta du sommeil.
Dans le retrait, le mental se détache des perceptions externes par la force de la volonté et se recentre sur la conscience par une écoute attentive sereine et bienveillante des perceptions internes. Les perceptions externes sons, odeurs, images, goût, sensations, fournissent au mental des informations utiles pour la compréhension de l’environnement. Ce processus est indispensable à la vie. Cependant, si le flot d’informations est excessif, le mental réagit sans cesse à de nouveaux stimuli, il se disperse et entre dans un état d’agitation qui est énergivore et déstabilisant. Le retrait s’oppose à cette réaction néfaste en arrêtant momentanément les stimuli issus de perceptions externes.
Comme les impressions venues de l’extérieur changent perpétuellement, le retrait évite la tendance naturelle à la multiplicité à la dispersion et contribue à réaliser l'unité du soi.
En dirigeant l'attention sur des perceptions internes notamment corporelles le retrait ancre fermement le pratiquant dans l’instant présent en ne donnant pas prise à ces perceptions éphémères. Le retrait contribue à apaiser le mental en diminuant l’anxiété liée à l’inquiétude à propos de l’avenir.
Le retrait conduit le yogi réaliser ce qui n’est qu’éphémère dans les phénomènes extérieurs. Cette compréhension de l'impermanence du monde sensible développe en lui la conscience du moment présent. Le retrait pousse ainsi le yogi au détachement de ce qu’il croit important et qui n’est qu’illusoire. Le détachement l’entraine dans la satisfaction santosha du moment présent.
Pratique du retrait
Quoique dans certains yogas posturaux modernes, le retrait pratyahara se pratique pendant les postures asana, dans les yogas contemporains, le retrait, lorsqu’il y est pratiqué, prend place pendant des périodes ou des séance spécifiques allant d’une simple relaxation à de la méditation.
Bien relâché, en position assise ou allongée en savasana, le yogi qui va pratiquer le retrait, tout en fermant les yeux, fait effort pour rester en éveil, conscient, attentif à toutes les perceptions intérieures qu’elles soient corporelles ou mentales, agréables ou désagréables.
L’écoute de l’espace intérieur est libre ouverte mais le pratiquant peut la faciliter en orientant l'attention vers tel ou telle perception comme la sensation de lourdeur et de détente du corps, le mouvement naturel associé à la respiration, le passage de l'air dans les narines, la diffusion de la chaleur du centre cœur-poumon vers les extrémités lors d’expirations prolongées, etc.
L’écoute intérieure ne rejette rien pas même les perceptions désagréables de douleur, de tension. On n'évite pas les sensations désagréables mais on les ressent sans les laisser s’amplifier. En cas de douleur (ou simplement de tension ou de gêne), le yogi utilise des techniques de pranayama telles que des expirations prolongées durant lesquelles il accompagne mentalement le souffle d’expiration dans la douleur pour essayer de la contenir ou peut-être même de l'atténuer, en tous cas pour se mettre en paix avec la douleur et retrouver le calme physique et mental.
En dirigeant son attention sur des sensations corporelles et en se mettant en paix avec elles, le yogi pratiquant le retrait s'ancre fermement dans l’instant présent diminuant par là même son anxiété face au futur et aux choses négatives qui pourraient arriver.
S’il perçoit des sons, des odeurs, des sensations, des images, des émotions, des sentiments, des idées venant de l’extérieur qu’il n’a pas pu empêcher d’arriver à son esprit, il les laisse passer et éventuellement disparaître sans questions sans réflexions sans implication sans être altéré : c’est le détachement. Comme les nuages dans le ciel, comme le paysage à la fenêtre d’un train qui roule, les perceptions venues de l’extérieur changent sans arrêt faisant prendre conscience au yogi de l’impermanence du monde sensible. Comprenant l’impermanence du monde qui l’entoure il développe la conscience du moment présent sa seule réalité. En se détachant des perceptions éphémères il peut savourer pleinement l’instant présent et éprouver la satisfaction santosha de cet instant.
Le retrait des sens est un moment précieux où l'esprit s’isole des stimuli externes, s’arrache au brouhaha du monde environnant. Après le retrait le yogi se prépare aux pratiques méditatives internes concentration, méditation, absorption qui le feront progresser vers un état mental supérieur plus apaisé encore, vers la libération que lui promet le yoga.
Dans le contexte contemporain ou les stimuli externes sont nombreux, le retrait se révèle un outil fort utile dans la quête de la paix intérieure et le développement de la conscience.
Sources: James Mallinson & Mark Singleton, Jean Varenne, I.K.Taimni, Swami Satchidananda, Swami Prabhavananda, Christopher Isherwood, F.Mazet, B.K.S Iyengar, Pattabi Joïs, T.K.V. Desikachar, athayoganusasnam.com, Wikipedia